Article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. »
Abandon, mépris et colère. Ces mots sont forts. Ces mots sont justes. Ces mots sont adaptés à la violence de la situation que vivent un hôtelier et un restaurateur de notre ville de Saint-Herblain.
Mercredi 23 novembre. Voici 58 jours qu’un village de gens du voyage s'est installé devant la porte de l'hôtel, sur le parking du restaurant qui le côtoie. Le propriétaire du restaurant enregistre une perte de chiffre d’affaires de 60% et va devoir, comme si cela ne suffisait pas, installer des barrières de protection pour un montant de 25 000€. Lui et son voisin hôtelier subissent les nuisances et les violences : plus de parking, une clientèle qui fuit, des menaces, des intimidations, des feux de camps, des poubelles par terre, des voitures garées partout empêchant le passage, des eaux usées qui coulent et polluent. Sans compter les branchements illégaux et dangereux. Pour la cinquième fois en dix-huit mois. Fatigue, lassitude et fureur.
Les instances républicaines ne répondent pas à leur obligation de résultat, tout juste à leur obligation de moyens. La police passe mais ne reste pas. Pas d’interlocuteur identifié pour les commerçants à la ville. Les élus ne se déplacent pas. Seule la Députée est passée, a envoyé des mails, mais sans retour. La Préfecture, donc l’Etat, ne répond pas. 22 appels au numéro de téléphone dédié et aucune autre voix que celle de la messagerie vocale. La plainte déposée ? Égarée, il semblerait. Non enregistrée, inexistante aux yeux de l'administration. Ces deux entrepreneurs sont victimes d’une cohabitation illégale et victimes de l’abandon de la République. C’est la double peine.
Pourtant, lors des confinements liés à la COVID, notre hôtelier –qui a plusieurs établissements- a vu ses chambres réquisitionnées par l’Etat pour accueillir des sans-abri touchés par le coronavirus, des détenus libérés avant la fin de leur peine. Il a fait son devoir, il a répondu à ses obligations. Et puis, il contribue à la richesse de son territoire, tout comme son ami restaurateur. Il crée des emplois sur la ville, il fait vivre des familles. Mais aujourd’hui on semble oublier l’hôtelier auréolé du titre d’ « hôtelier citoyen » par les autorités il y a peu encore devant les caméras.
La question posée par cette situation dramatique invite à dépasser cette opposition entre la liberté au prix de la peur du désordre et l'ordre au risque de la tyrannie. Elle invite à rechercher un ordre qui ne nie pas le conflit, mais l'organise ; qui ne supprime pas les différences, mais fait en sorte qu'elles ne soient pas irréductibles ; bref, qui prenne acte du fait que la société est structurellement divisée, qu'elle est traversée de tensions liées aux inégalités de richesses autant qu'aux divergences de convictions, tout en recherchant un corps de principes qui permette aux citoyens de se retrouver. Laisser la situation pourrir c'est prendre la responsabilité que les gens s'opposent, c'est donner les conditions favorables à l'émergence d'hommes ou de femmes politiques prêts à mettre le chaos.
Il faut donc agir. Il y a urgence. Les élus locaux d’abord se doivent de se déplacer pour montrer leur soutien et ensuite le concrétiser en travaillant avec les services de l’Etat, en travaillant aussi avec la Métropole et le Département. Rappelons que la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et l’habitat des gens du voyage confère aux schémas départementaux d’accueil des gens du voyage un rôle premier. L’élaboration de ces schémas est de la responsabilité du Président du Département et du Préfet. Le rapport de la Cour des Comptes d’octobre 2012, peu flatteur, rappelle que « cette loi a cherché à établir un équilibre entre les droits et les devoirs réciproques des gens du voyage et des collectivités territoriales, afin de favoriser une cohabitation harmonieuse de différentes populations sur le territoire national. Cette loi impose une obligation d’organisation de l’accueil des gens du voyage aux collectivités territoriales, tout en leur permettant, en contrepartie, de recourir à des mesures renforcées de lutte contre les stationnements illicites des gens du voyage. »
Ainsi, si ce choix de vivre dans des caravanes et en itinérance est un droit que l’on ne remet pas en cause, il ne faut pas que cela soit au détriment des autres et en bafouant les lois. Cela demande du dialogue, des échanges avec toutes les parties concernées. Et de la fermeté. Nous entendons déjà les propos outrés de certains qui, la main sur le cœur, vont nous tancer en nous parlant de stigmatisation, de discrimination. Mais la discrimination, elle est systémique. C’est même la Défenseure des Droits qui l’écrit dans un rapport de 2021 ! Claire Hédon affirme que "les objectifs d'accueil quantitatifs et qualitatifs prévus par la loi du 5 juillet 2000 ne sont toujours pas atteints, ce qui expose les voyageurs à des expulsions fréquentes".
Mais notre hôtelier et notre restaurateur, eux, veulent des solutions et tout de suite. Ils n’ont pas le temps d’attendre un énième rapport qui conclura à de nombreuses préconisations. Eux, ils veulent pouvoir travailler, tout simplement. Tout comme les gens du voyage qui souhaitent vivre sans aucun doute de manière plus apaisée. Les deux parties sont au final des victimes collatérales de décideurs qui depuis trop longtemps ont peur de se confronter aux difficultés de parfois vivre ensemble et qui, par facilité, préfèrent cacher les aspérités au lieu de les affronter. La paix sociale ne se décrète pas, elle se conquiert, elle se travaille chaque jour. Et c'est par ce que les gens du voyage, notre restaurateur et notre hôtelier sont des citoyens égaux en droit que les élus doivent réagir vite. Aux élus locaux en place, leurs interlocuteurs directs, de se mobiliser et de mobiliser les autres acteurs. Nous avons remonté tous ces points le soir même de notre rencontre avec l’entrepreneur hôtelier. Nous espérons que cela sera entendu.
Catherine MANZANARES et Sébastien ALIX