Monsieur le Maire, Mes chers collègues,
Herblinoises, Herblinois,
Un de mes collègues de la majorité, qui se reconnaîtra, m’a dit un jour que les commissions sont faites pour poser des questions, le conseil municipal pour exprimer un avis politique.
La guerre en Ukraine nous oblige à parler politique dans le sens noble du terme.
« Quand je suis rentrée à Kiev le 20 février après la Conférence de Munich sur la sécurité, une bonne amie m’a proposé d’aller dîner dans un restaurant chic. J’ai hésité, puis je me suis dit : et si la guerre éclatait demain ? Ne te prive pas aujourd’hui de ce plaisir ».
C’est par ces mots que débute le long article de la journaliste ukrainienne Kristina Berdynskykh publiée dans le Financial Times de Londres le 4 mars dernier sous le titre évocateur : « Ai-je raison de rester à Kiev ? ».
Notre groupe, comme tous les démocrates de ce conseil, exprime sa solidarité pleine et entière avec le peuple ukrainien. Nous condamnons l’opération militaire russe qui vise un Etat souverain : l’Ukraine. Naturellement, il convient de nous montrer solidaires de sa population et de manifester concrètement notre solidarité avec toutes les victimes et personnes en détresse, quelles qu’elles soient.
Nous sommes aussi solidaires de tous les démocrates et dissidents russes comme Veronika Nikulshina, du collectif d’artistes punk, les Pussy Riot qui défend depuis dix ans la liberté d’expression en Russie. Traquée, enfermée à plusieurs reprises dans un centre de détention, elle a dû à 24 ans s’exiler en Géorgie pour échapper au pouvoir poutinien. Son entretien publié dans le numéro 424 de mars 2022 dans la Chronique d’Amnesty International nous rappelle et je la cite que « le Kremlin s’emploie depuis des années à réhabiliter le passé soviétique. Poutine glorifie la figure de Staline, et notamment son rôle dans la victoire contre le fascisme il y a soixante-dix ans ».
Nous n’oublions pas aussi la liquidation de l’association de défense des droits de l’homme l’ONG Memorial dissoute le 28 décembre 2021 par une Cour Suprême aux ordres du Kremlin. Créée à l’origine pour faire la lumière sur la répression politique à travers l’histoire de l’URSS et promouvoir la réhabilitation de ses victimes, Memorial comptait parmi ses fondateurs un authentique démocrate, l’académicien et Prix Nobel de la paix Andreï Sakharov, mort en décembre 1989. Après la chute de l’Union soviétique en décembre 1991, Memorial est passée du statut d’organisation dissidente à celui d’association publiquement reconnue. Son crime : résister à la réécriture de l’Histoire soviétique et à la doxa poutinienne.
Catherine Manzanares et moi-même sommes très clairs sur le sujet : Poutine est le digne héritier d’Ivan Le Terrible, Pierre le Grand et de Joseph Staline. C’est un paranoïaque doublé d’un mythomane.
Plus il élimine toute contradiction, plus il échappe à la réalité, au profit de son idée fixe et funeste : reconstituer la Russie impériale, se venger de la chute de l’URSS. Par sa rhétorique et son verbe, c’est un pur stalinien formé à l’école du KGB, celle du bouclier et du glaive.
Par son mode de fonctionnement, sa volonté d’annihiler toute opposition, le culte de la personnalité permanent, le régime du Tsar Vladimir Poutine me rappelle mes lectures de jeunesse comme celles d’Orwell avec La Ferme des Animaux et d’Arthur Koestler avec le Zéro et l’Infini. Ces deux romans publiés en 1945, juste à la sortie de la Seconde Mondiale dénoncent le totalitarisme stalinien.
Écrit de 1938 à 1940, Le Zéro et l'Infini est un des grands « classiques » du XXème siècle, ainsi qu'un best-seller mondial. Inspiré des grands procès de Moscou, le roman imagine l'itinéraire d'un responsable communiste, Roubachof, jeté en prison et jugé après avoir été lui-même un « épurateur. » A travers ce thème, l'écrivain nous convie à un véritable procès des dictatures et du système totalitaire pour lesquels l'homme n'est rien, un zéro en regard de la collectivité, alors que l'humanisme voit en lui, au contraire, un infini. Le Zéro et l'Infini est de ces œuvres dont le temps n'abolit pas la portée.
Dénonçant le stalinisme, Koestler fut traîné dans la boue en France par les sbires zélés du PCF du Petit Père des Peuples lors de la parution en France de son roman. Il en fut de même pour George Orwell qui dénonçant l'autocensure pratiquée au Royaume-Uni, qui supprimait toute critique de l'Union soviétique, son alliée pendant la Seconde Guerre mondiale, a écrit à ce sujet :
« Ce qu'il y a de plus inquiétant dans la censure en Angleterre, c'est qu'elle est pour une bonne part volontaire. […] Quiconque a vécu quelque temps dans un pays étranger a pu constater que certaines informations, qui auraient normalement dû faire les gros titres, étaient passées sous silence par la presse anglaise, non en vertu d'une intervention du gouvernement, mais parce qu'il y a eu un accord tacite pour considérer qu'il « ne fallait pas » publier de tels faits. »
En effet si Poutine en est arrivé là, c’est en partie à cause de nos propres lâchetés. La liste est longue. L’invasion de la Géorgie, l’annexion de la Crimée, le Donbass, la Transnistrie, les crimes contre l’humanité commis en Tchétchénie ou en Syrie, les centaines d’assassinats et les milliers d’emprisonnements en Russie même : tout cela, nous l’avons laissé faire. Comme le firent les politiques français face à Hitler lors l’annexion de l’Autriche, des Sudètes et de la Tchécoslovaquie.
Ce n’est pas seulement par lâcheté que nous n’avons osé nous lever. C’est parce que les démocraties ont en leur sein des collaborateurs zélés, le plus souvent soudoyés par le Kremlin, qui reprennent mot à mot sur les réseaux antisociaux, au moyen de milliers de faux comptes, de trolls et de bots pilotés depuis Moscou, sur les radios et télévisions de RT, Sputnik d’autres encore, la propagande du Tsar Vladimir Poutine : l’Ukraine n’existe pas, elle est dans la sphère russe, ses dirigeants sont des nazis.
Je pense notamment à Eric Zemmour, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen qui sont depuis longtemps les porte-paroles en chef de cette cinquième colonne.
Certaines de leurs dernières déclarations atteignent des sommets.
Mélenchon a ainsi déclaré le 18 janvier dernier : « Qui ne ferait pas la même chose avec un voisin pareil, un pays lié à une puissance qui les menace continuellement ? »
Le Pen a dit pour sa part : « Mon point de vue sur l’Ukraine coïncide avec celui de la Russie. »
Quant à Zemmour, il a affirmé : « Il faut arrêter de faire de Poutine l’agresseur, c’est Poutine l’agressé. Poutine est l’allié qui serait le plus fiable. »
Depuis que tout le monde a compris leurs mensonges, ils ont réinventé le « oui mais ». Ils condamnent, car ne pas le faire serait un suicide électoral, mais ils ne changent pas d’avis. Tout est de la faute de l’Occident, il ne faut surtout pas de sanctions et faire attention à la troisième guerre mondiale.
Mélenchon continuait ses bobards : « Je n’ai jamais soutenu Vladimir Poutine, jamais. »
Le pire, c’est Zemmour, le trois fois condamné pour racisme, qui crache sur les résistants ukrainiens et sur les réfugiés, et qui donne des leçons de patriotisme, lui qui, après s’être soustrait au service militaire, n’a pas hésité à se rendre sur le plateau des Glières. Ses propos souillent les tombes des maquisards et la mémoire du Général De Gaulle dont il se revendique.
A les écouter, je retrouve les propos de Georges Marchais ne condamnant pas l’invasion de l’Afghanistan de 1979 par l’Union Soviétique de Brejnev ou ceux de Marcel Déat qui le 4 mai 1939 parlait de « Pourquoi mourir pour Dantzig ? » dans un fameux éditorial.
Ces suppôts de Poutine, après en avoir été ses porte-paroles zélés sont candidats à la Présidence de la République. Ils ont condamné le dictateur du bout des lèvres, mais leurs trolls inondent les réseaux de messages à sa gloire et leurs députés européens ont refusé de voter l’aide à l’Ukraine.
Pendant des années, certains ont tenté de faire comprendre qui était Poutine. Ils étaient trop peu nombreux face aux idiots utiles de l’Europe.
L’Allemagne s’est mise dans les griffes de l’ours et de son gaz après avoir commis l’incroyable erreur de céder aux Verts sur le nucléaire.
En France, le fond de l’air, fait d’un gaullisme du pauvre qui n’a rien à voir avec le gaullisme et d’un antiaméricanisme héritier de la vieille droite anti-anglo-saxonne et de la vieille gauche anticapitaliste, conduit certains à prêcher l’équidistance entre l’Amérique et la Russie – et, demain, entre l’Amérique et la Chine –, sans comprendre qu’il y a d’un côté le camp de la démocratie et de l’autre celui des dictatures. La France paie aussi le refus de François Mitterrand d’accepter la main tendue par Gorbatchev de faire enfin l’Europe de l’Atlantique à l’Oural. Jusqu’à la fin de sa vie et par son opposition au Général De Gaulle, l’Homme de Jarnac a refusé de voir l’évidence. La Russie fait partie de l’Europe.
Le 24 février 2022 restera dans l’Histoire comme le jour prodigieux du grand basculement. Le plus grand succès de Poutine, c’est de nous avoir ouvert les yeux. Nous nous sommes réveillés bien tard, mais nous nous sommes réveillés !
Cependant, je tiens aussi à rappeler à cette assemblée que les mots ont un sens. En effet, quand je lis le 22 mars dernier sur la page internet de Libération que l’Ukraine dénonce «un génocide» à Marioupol. «Ce que je vois maintenant à Marioupol, ce n’est pas la guerre, c’est un génocide», déclaré mardi à l’AFP la procureure générale d’Ukraine, Iryna Venediktova.
Je m’interroge dans l’utilisation de ce terme.
Arrivé donc à ce mot de génocide, nous constatons qu’il en existe trois définitions majeures, variables suivant l’endroit où il est employé.
Viennent en premier les spécialistes des étymologies proposent une analyse du phénomène évidemment très complexe. Génocide est un mot hybride, composé d’une racine grecque (pour faire scientifique) et d’une racine latine. Il a fait son apparition, pour des raisons évidentes, en 1944. Son inventeur, Raphaël Lemkin, aurait pu parler de « genticide », mot plus latin qui nous est inconnu.
En grec classique, le mot γένος génos signifie « race, nation, peuple, tribu » si l’on en croit le dictionnaire d’A. Bailly. Il est synonyme de ἔθνος, ethnos « race, peuple, nation, tribu », les définitions du même auteur venant dans un ordre à peine différent ; ἔθνος a donné naissance à un terme rare, ethnocide. Γένος génos, trouve une correspondance approximative dans le latin gens, « race, peuple » ; la gens couvre une population plus large que le natio, qui se divise en civitates, si l’on se fie à un autre dictionnaire classique, celui qui a été élaboré par F. Gaffiot.
Le deuxième élément vient donc du latin et il puise son origine dans un nom et un verbe. Caedes signifie « meurtre, et surtout massacre, carnage ». Il implique donc la possibilité de survivants. La même remarque s’impose pour caedere, « frapper, …, abattre, …, tuer, massacrer » ; ici aussi, nous avons eu recours au dictionnaire de F. Gaffiot. Dans ces conditions, un parallèle peut être établi : tuer un homme s’appelle un homicide ; et un génocide, c’est tuer un peuple.
Très imprégné de vraie culture classique, et donc ne mélangeant pas le grec et le latin, Gracchus Babeuf, un des ancêtres du communisme et de l’anarchisme, avait défini la politique de la première République à l’égard des Vendéens et des Nantais comme un « populicide ».
Après les spécialistes des dictionnaires viennent les juristes, la situation est encore plus complexe, puisque la définition peut varier d’un pays à un autre. Elle aussi a été élaborée après la fin de la deuxième guerre mondiale ; mais partout on retrouve des points majeurs communs. C’est ainsi que tout le monde est à peu près d’accord pour des termes généraux : on appelle génocide l’élimination totale ou partielle d’un groupe qui se caractérise par son unité ethnique, évidemment, mais aussi nationale ou religieuse. C’est l’interprétation admise par l’ONU. En complément des travaux rédigés par les collaborateurs de cette institution, des spécialistes de diverses disciplines, par exemple psychologie et sociologie, ont élaboré un corpus de doctrines appelé « genocide studies ».
Comme elles intéressent l’histoire contemporaine et des sciences humaines diverses, nous laissons à plus savant que nous le soin de les commenter.
Enfin, dans le langage vulgaire, celui qu’emploient les journalistes de la radio et de la télévision par exemple, il désigne un massacre de masse, avec de nombreux morts, sans toutefois qu’un anéantissement ou une annihilation du groupe de victimes n’aient été obligatoirement effectués, ni même envisagés. Ils diront que des barbares, des sauvages ou des terroristes, qui ont tué beaucoup de monde, ont commis un génocide.
Pour terminer, je tenais à revenir sur le rôle important joué par le Président Macron dans cette crise ukrainienne. Certains ont pensé qu’il est un lapin pris entre l’ours (russe peut-être) et le loup, et que ces deux derniers gagnent toujours à la fin. Assumant la Présidence du Conseil de l’Union européenne, la France a tenté par la diplomatie d’éviter la guerre. Le Président Emmanuel Macron a eu le courage d’aller à Moscou pour faire entendre la voix de l’Europe. Cette même Europe, qui si elle veut exister doit aussi s’émanciper du diktat américain sous lequel elle vit depuis 1945 et qui fait tout pour qu’un nouveau Rideau de Fer la redivise.
Le Groupe Saint-Herblain d’Abord votera cette subvention.
Sébastien ALIX